28 avril - 16 mai 1964 : Seconde exposition personnelle à la Galerie Vendôme

Juliette Darle : " Un sens exceptionnel de la vie des formes " (Texte de la plaquette de l’exposition) :

René Aberlenc vient de peindre des oliviers. Dans sa simplicité, cette toile est l’une de celles qui me comblent, avec l’herbe rousse de la garrigue, les arbres qui se ramifient depuis des siècles sous le vent, l’éclat gris du feuillage au ciel mêlé, cette respiration de la lumière... ainsi va la création, son cheminement imprévisible, qu’il aura fallu au peintre des années de maîtrise avant d’aborder ces trois arbres sur leur talus, qui furent pour lui l’horizon de toujours.

Aberlenc s’est révélé voici trois ans, alors que son art s’imposait déjà, par cette première exposition à la Galerie Vendôme qui fit événement. Le grand peintre qui s’annonçait là n’a cessé de s’affirmer par une ampleur nouvelle du souffle et ce naturel, cette liberté obtenus comme de surcroît à force d’approfondir sa connaissance de la nature, de serrer l’analyse des formes.

Son originalité, c’est d’abord ce sens exceptionnel de la vie des formes, du rôle expressif des valeurs. Dessinateur de premier ordre, il utilise le dessin comme le moyen le plus précis qu’il ait d’arracher à la vie son poignant, son ultime secret.

Naturellement, la virtuosité graphique d’un peintre ne saurait entrer telle quelle dans sa peinture. Il y faut une invention d’ordre pictural. Et aussi une exigence intérieure, un goût de la vérité humaine qui aillent à l’encontre de la plupart des impératifs à la mode.

Depuis les années 50, une réserve absolue a tenu René Aberlenc séparé de ces courants formalistes qui attirèrent la plupart des artistes de sa génération et devaient conduire à leur perte plusieurs tempéraments singuliers... Un créateur ne s’inscrit pas impunément d’ailleurs à contre-courant de la décadence de son temps. Pour le jeune cévenol fidèle à l’esprit d’analyse des grands classiques, il y eut quelques années terribles d’inquiétude créatrice et de doute, de douloureuse expectative. L’authenticité d’un artiste éclate aussi, après coup, dans ses refus.

Âpre, sans certitude, fut le départ. Mais dans la voie éprouvée qui lui convient, le peintre progresse et semble en mesure de progresser à l’infini, sans risque d’une redite ni d’un effet arbitraire. La beauté ici naît de source, comme cette effusion récente de la couleur qui se développe à plaisir, chaque fois inédite, merveilleuse de fraîcheur.

Qu’est donc le modernisme de l’œuvre d’art, sinon cette grandeur qui résiste au passage du temps ? La peinture de René Aberlenc, ce poids d’émotion vraie et la forme en toute probité imaginée pour le dire, portera sans doute à jamais témoignage de ce temps qu’il nous est donné de vivre.

Voici la vie brève, le monde à portée de nos yeux comme un bonheur interdit, un rivage sans accès. La personnalité de l’artiste, son imagination, sa sensibilité ne suffisent pas à combler la distance qui l’en sépare. Seul le peut l’accès à une forme vivante qui marque toute œuvre originale. L’unité ainsi établie entre la beauté du monde et la conscience créatrice étrangement donne prise sur la durée. Cette présence anime profondément les toiles récentes, les portraits, le grand nu sur fond bleu, les paysages, cet étagement de toits avec leurs tuiles romaines dans un village du Midi, l’insolite douceur de la neige dans une rue de Paris, la nostalgie sans âge d’un port, d’un hameau étirant ses maisons grises sur la côte, en Bretagne... "

George Besson : " René Aberlenc 64 " (Texte de la plaquette de l’exposition et que Besson reprendra dans " La lettre à une provinciale " publiée par " Les Lettres Françaises " du 30 avril au 6 mai 1964) :

" Depuis longtemps, depuis toujours, René Aberlenc, peintre de bonne venue et de bon sens a choisi, parmi les rivages qui offrent - paraît-il- des points de chute à la peinture, celui où il savait qu’il ne ferait pas naufrage... un " rivage " à l’écart des récifs de l’abstraction... un " rivage " interdit aux sirènes de la " nouvelle figuration ".

Ce qui signifie que le scrupuleux Aberlenc, Languedocien d’origine et Parisien destiné à la défense des justes causes, s’était destiné à organiser ses sensations artistiques par le truchement d’une " dégoûtante " réalité. Celle qui aurait fait son temps si l’on ajoutait foi aux défenseurs de la " peinture autre ", érudits comme docteurs en Sorbonne et sentencieux à la manière des critiques d’art de vingt ans.

René Aberlenc ne se fit jamais remarquer en devenant l’un des mille et mille vulgarisateurs des galimatias à la mode exigé par l’analphabétisme pictural de deux ou trois millions de Français qui achètent de la peinture comme on acquiert un titre en bourse sans s’inquiéter s’il s’agit d’une valeur de mine d’or ou d’usine de transmutation des excréments péruviens en crème de beauté.

Autant dire que René Aberlenc est classé dans la catégorie des peintres qui ne sont que des artisans. Bien qu’appliqué sans vergogne à Corot, à Courbet, le mot " artisan " a pris aujourd’hui un sens péjoratif qui faisait déjà bien rigoler le père Renoir. Ce titre d’artisan, le père Renoir le revendiquait lorsque, dénonçant la prétention des pires avortons à se vouloir artistes, il disait : : " les peintres  veulent tous être des artistes, disait-il à son ami Albert André, avant d’être de bons ouvriers. La peinture est un métier, d’abord. "

Et un métier difficile pour qui s’efforce d’en pénétrer les secrets. Mais, il s’agit bien de métier, de secrets et de respect du métier, frivolités indignes d’une époque vouée à la sorcellerie atomique ! Le peintre est sommé d’être le créateur de nouveautés capables de frapper et de stupéfier le public. Et, dans ce but, de " se dépasser  ", fût-ce au prix de l’exploitation des délits picturaux les plus extravagants ou de comiques stratagèmes. D’où les virages insolites et les tête-à-queue qui laissent castrés de robustes garçons destinés, dès leurs débuts, à devenir les figures représentatives de leur génération.

" Se dépasser ! " Il y a des réactions nécessaires quand les faiseurs de pacotille se posent en inventeurs.

René Aberlenc " se dépasse " par l’enrichissement de ses dons et la consolidation des difficultés acquises.

René Aberlenc, ennemi de la facilité et de l’agrément fortuit, " se dépasse " et s’enrichit en déguisant sa vision, en prenant des libertés avec ses scrupules d’ouvrier qualifié qui, par exemple, dans ses Nus actuels, se manifestent par la qualité de la lumière et son exacte mesure à la surface des corps.

René Aberlenc se renouvelle et " se dépasse " lorsqu’en toute simplicité de cœur, avec tendresse et bonhomie il fait de chacun de ces sujets un domaine d’harmonie où paraît le caractère humain de son art.

Pour communiquer son émotion et susciter le plaisir physique que dispensent la parfaite convenance et le juste sentiment des valeurs, Aberlenc se contente des sonorités amorties d’une palette qui n’est jamais exagérément brillante. Et, pour nous retenir, les richesses de ses thèmes sont extraites, sans faste oratoire, du banal le plus quotidien.

Un nu de femme ou d’enfant, une verdure ou une falaise de l’Ardèche, un carrefour parisien ou breton, l’intersection des plans d’humbles façades... deviennent poésie par l’accord des valeurs et des formes, c’est-à-dire autant de " promesses de bonheur ", et même un peu plus, d’un artiste dont le talent est fait de sincérité, d’humilité, de patience.. Un de ces talents " dont il faut beaucoup - a dit André Gide - pour rendre un peu de génie supportable ".

Raymond Charmet dans " ARTS " du 6 au 12 mai 1964, " Aberlenc retrouve les lois du métier de peindre " :

" Un vrai peintre figuratif, qui ne cherche pas à être un néo-figuratif, procédant par soustractions du réel, le cas est rare. Tel est justement celui de René Aberlenc, un Cévenol de quarante-trois ans qui a courageusement entrepris le rude et patient corps à corps avec la nature. Les progrès en profondeur, qu’il accomplit sur cette route aujourd’hui peu fréquentée, lui permettent d’avancer régulièrement et d’atteindre, dans les toiles qu’il expose à la Galerie Vendôme, à une somptueuse et puissante plénitude. Autodidacte, il a reçu et écouté les conseils de sculpteurs comme Carton et Gimond. Aussi le sens des volumes, de la forme dense et équilibrée, modelée avec amour, distingue-t-il ses magnifiques nus des chiffons flottants de tant de ses contemporains. Ardent dessinateur, Aberlenc est tout autant un peintre ardent. La touche colorée, disposée parallèlement avec une âpre énergie, lui permet de saisir, d’envelopper, d’étreindre la forte substance des choses, la souplesse des végétations et des étoffes, la fermeté des roches et des maisons. Ainsi, un immense immeuble de banlieue se détache à contre-jour, dans une de ses toiles, comme une cathédrale. La falaise de son Paysage de l’Ardèche rejoint l’accent épique des Provence de Cézanne. Ses scènes d’intimité, des femmes à leur toilette, des nus parmi les étoffes riches comme un décor baudelairien, vibrent d’une lumière profonde, mystérieuse, prouvant que rien n’est plus lyrique et fantastique que le réel. Aberlenc n’hésite pas à montrer des affinités avec les maîtres, Delacroix, Degas, qui lui permettent, comme aux peintres d’autrefois, d’affirmer et de perfectionner sa propre personnalité. Une recherche aussi lucide de la perfection dans la plénitude prend aujourd’hui un sens révolutionnaire qui retient toute notre attention. "

Jean Dalevèze dans " Les Nouvelles Littéraires " du 7 mai 1964 :

" Mon Dieu ! Qu’il est donc agréable de rencontrer un jeune peintre qui sache dessiner et possède une science suffisante pour s’attaquer victorieusement au corps humain. C’est le plaisir que nous donne René Aberlenc à la Galerie Vendôme. Sensible aux formes, aux volumes, il sait les unir à la lumière et les y faire jouer. Il ne prétend pas à autre chose que de traduire ce que son œil voit, si ce n’est exprimer l’enchantement que provoque en lui ce miracle, la vie. Il y parvient, puisque, avec lui, nous l’éprouvons. "

" Aux Écoutes " du 8 mai 1964 :

René Aberlenc - Voici un jeune peintre qui ne craint pas de se mesurer avec la réalité, même avec ce qu’elle nous offre de plus merveilleux et de plus difficile à saisir, le corps humain. Ce qui le passionne, ce sont les jeux de la lumière et des formes, leurs épousailles. Ces noces, il les célèbre dans la joie, faisant montre d’une surprenante maîtrise, d’une science approfondie du dessin, d’une fine sensibilité de coloriste. Il est réconfortant de rencontrer, parfois, sur son chemin de jeunes peintres qui, ne faisant pas fi du métier, cherchent à créer une œuvre d’art complète (Galerie Vendôme 12, rue de la Paix) "

Marcel Espiau dans " Nouveaux Jours " du 8 mai 1964 :

" Voilà un peintre qui a quelque chose à dire et qui le dit avec une simplicité naturellement éloquente et belle. Son nom ? René Aberlenc qui, pour la seconde fois, a demandé à la Galerie Vendôme de l’accueillir.

Aberlenc n’entend pas céder aux constructions hyperboliques ou " prémonitoires " des visionnaires qui expriment par elles trop souvent leur impuissance. Ce languedocien a les pieds solidement posés sur son sol cévenol et si son esprit parfois court les nuages, c’est pour en saisir, non l’extravagance des formes, mais leur harmonie au contraire et en couronner ses paysages méridionaux ou bretons.

Mais Aberlenc sait aussi s’apparenter quand il veut aux " intimistes " avec une élégance personnelle tout en profitant de certaines " audaces " picturales nées après eux.

C’est pourtant dans ses nus que cet excellent peintre nous fait paraître, avec le plus d’assurance, les ressources de son solide talent. Il sait rendre, en effet, un enthousiaste hommage à la beauté charnelle de la femme, en offrant à nos regards des corps d’abord parfaits, baignés de lumière juste et peints aussi avec un art plein d’attraits que Bonnard eut aimé. Voilà, en effet, des toiles animées d’une vie sensible. Les ravissantes créatures dont l’intimité est ainsi profanée sans que rien d’exagérément sensuel ne paraisse, sont des réussites picturales toutes frémissantes de jeunesse et de merveilleux abandons.

Une couleur chaude, assourdie avec mesure, leur donne un éclat saisissant, sans pourtant que la vérité ne s’en trouve amoindrie.

Aberlenc n’est pas seulement un artiste de haute probité ; c’est un peintre sain et par conséquent réconfortant "

" Agence Quotidienne d’Informations Économiques et Financières " du 13 mai 1964, " À travers les Galeries " :

Aberlenc - Depuis plusieurs années, je suis ce peintre qui a le courage de se renouveler et de se " dépasser ". Il y a trois ans, son exposition à la même Galerie l’avait révélé au grand public ; on attendait beaucoup de lui et on le classait déjà dans le peloton de tête.

Durant ces trois années, il a travaillé avec foi et courage et le résultat est aujourd’hui une exposition sensationnelle. Aberlenc a un esprit très éclectique ; il peint des " Nus " lumineux et solides, des " Fleurs ", des " Natures mortes " et des " Paysages " de banlieue, de Bretagne ou de son Midi. Un bien beau paysage de l’Ardèche (la plus grande toile) est une réussite magnifique : ces rochers abrupts, ces oliviers tordus évoquent avec une grande puissance cette nature âpre et sauvage où la lumière et le soleil embellissent et poétisent tout.

René Aberlenc est en pleine possession de son métier, sa facture a gagné en harmonie, les lignes sèches ont disparu et une tendre sensibilité se donne libre cours "

May Tamisa dans la " Revue Parlementaire " du 15 mai 1964 :

Aberlenc. - Présenté par Juliette Darle et George Besson, ce jeune peintre est soutenu par des gens de poids, mais il mérite vraiment l’intérêt qu’on lui porte. Ce Languedocien scrupuleux, travailleur, qui possède admirablement son métier, vous dira qu’il faut peindre pendant des années pour être maître de son pinceau. Dessinateur exceptionnel, ses compositions sont solidement charpentées, claires, lisibles pour tout le monde, Aberlenc a résisté aux engouements de la mode, foin des barbouilleurs farfelus, lui, il exprime simplement la réalité quotidienne, un beau nu de femme ou d’enfant, un paysage de Paris ou du Midi, une nature morte, des oliviers ou les rochers et les falaises de l’Ardèche, tout est harmonieux, sa couleur qui vibre davantage aujourd’hui est d’une délicieuse fraîcheur. Ses nus voluptueux sont vivants, on sent le sang circuler sous la chair. Son grand " Paysage de l’Ardèche " est une œuvre maîtresse, ses grandes falaises blanches et ces rares oliviers sont d’une majestueuse vérité. René Aberlenc est un peintre, il deviendra un grand peintre et son nom s’ajoutera à la suite des Corot, Courbet, Renoir, etc, etc. (Galerie Vendôme) "

Jean Chabanon dans " Le Peintre " du 15 mai 1964 : " Aberlenc (Galerie Vendôme) " :

Aberlenc peint la brosse à la main ; je veux dire que son tableau n’est pas inscrit en lui avant la pose de la première touche. L’idée se déclenche au fur et à mesure du travail. Dans l’enthousiasme. Réaliste s’il soulève le paysage, celui-ci garde contact avec la terre, s’il plante droitement un nu, exaltant ses formes, il le garde tout baigné de vie et de lumière, une lumière venue d’une palette " aux sonorités amorties qui n’est jamais exagérément brillante " comme le fait remarquer George Besson qui se porte garant d'Aberlenc, artiste artisan, homme où se rencontrent le métier, la passion, au bénéfice d’un style en dehors de tout maniérisme. "

Guy Dornand dans " Libération " du 21 mai 1964 :

Aberlenc. - Autodidacte ? ... Soit. À condition d’observer qu’après les débuts solitaire de sa vocation, ce Languedocien s’enrichit des conseils et du fructueux exemple de deux maîtres : Gimond et Jean Carton. On ne saurait trop le louer d’avoir retenu le meilleur de leur leçon : la probité artisanale de l’artiste qui s’honore de savoir son métier, de se vouloir fidèle à la nature, à la figure et d’en pouvoir exalter les volumes et le modelé. Ses pastels en sont la preuve tout comme les paysages qui, sans banalité, conservent la noblesse séduisante ou la beauté sévère des sites du Vivarais. Belle exposition qui console de tant d’autres où visiblement l’impuissance et l’inexpérience des peintres cherchent un alibi dans la prétendue évasion hors du réel. (Galerie Vendôme) "

Claude Amiette dans " Masques & Visages - la Celle Saint-Cloud " en mai 1964 :

" À la Galerie Vendôme. - Peintures et dessins d’Aberlenc. Une belle honnêteté est à la base du talent de ce peintre ; grand travailleur et manieur de fusain, de pastels, de brosses et de couleurs. Les dessins d’Aberlenc sont des œuvres achevées, ils témoignent d’un métier accompli ! Cet artiste aime et comprend la nature, qu’il s’agisse des paysages ou du corps humain, son interprétation large, ses couleurs sobres, sa pâte généreuse nous restituent le motif dans sa plénitude et sa vision demeure toujours celle d’un peintre ".

R. Vrinat dans " Le Concours Médical " du 13 juin 1964 :

" Aberlenc (Galerie Vendôme), attaché au réel dans une transposition d’atmosphère dense, un peu mystérieuse"