Saint-Ouen (1967)

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George Besson dans " Les Lettres françaises " du 25 au 31 mai 1967, " Ceux de Saint-Ouen " :

" SAINT-OUEN se vit attribué, il y a quelques mois, le titre de ville pilote. Ce titre de pilote n’était pas volé. Il fut décerné à l’occasion d’une exposition de sculptures qui allaient de Rodin, Maillol, Bourdelle, Malfray, Gimond... à la plus noble descendance de ces maîtres. La responsable en était Juliette Darle, poétesse amoureuse de tout ce qui, dans la plastique française, n’est ni gratuité ni tricherie.

Ville-pilote, Saint-Ouen l’est encore en cette fin de printemps et toujours grâce à l’ardeur militante de Juliette et André Darle, protagonistes et animateurs d’une exposition de Vingt Peintres d’Aujourd’hui.

En réalité, ils sont vingt-deux, les conjurés du château municipal de Saint-Ouen et, lorsque je vous aurai donné leurs noms, vous avouerez que si l’on excepte une demi-douzaine d’aînés, il n’y a pas beaucoup mieux dans la peinture d’aujourd’hui, que celle de ces messieurs et dames dont deux ou trois seulement ont dépassé la cinquantaine. Retenez leurs noms : Aberlenc, Bardone, J.-C. Bertrand, Collomb, Cottavoz, Fusaro, Garcia-Fons, Genis, Hélène Girod de L’Ain, Guiramand, Lesieur, Lorjou, Mayet, Mireille Miailhe, Minaux, Montané, Yvonne Mottet, Petit, Pressmane, Rodde, Savary, Zavaro.

Je suppose que vous n’avez aucune peine à imaginer la mine de l’exposition d’une centaine d’œuvres de ce commando d’artistes de qualité, tous figuratifs, bien sûr. Comme s’il y avait d’autre peinture que celle collée au réel en opposition à un certain néant qui ne subsiste que gavé de littérature !

Je ne vous dis pas que, hors de ces vingt-deux lascars, Il n’y a pas aujourd’hui d’autres peintres dignes d’être choyés par les Français qui aiment la peinture pour elle-même. Et je ne serais pas étonné qu’un jour on s’aperçoive que l’exposition de Saint-Ouen de 1967 ne fut qu’une manifestation préliminaire qui prendra toute sa signification à Paris même, augmentée de recrues et peut-être de quelques aînés.

À ce propos, j’ai entendu déplorer que ce rassemblement exemplaire n’ait pas eu lieu dans un musée parisien. Il n’y a pas de cadre plus séduisant que le château construit à la demande de Louis XVIII pour sa petite amie. Et cette vaste merveille de Saint-Ouen n’est, par le métro, pas plus éloignée de l’Opéra que ne l’est l’Opéra de la Porte Dauphine. Que cela soit dit.

Si Juliette Darle avait lâché l’ancienne demeure de Mme du Cayla pour Galliéra ou le musée d’Art moderne, ses vingt-deux peintres auraient trouvé la colline de Chaillot inaccessible, envahie par la marée noire après l’échouage du pétrolier Soulages sur les récifs de l’avenue Wilson…

Vous avez la liste des vingt-deux exposants de Saint-Ouen. Dites-moi s’il est un seul d’entre eux qui, depuis 10 ans, en France, en Amérique, en Angleterre, au Japon... n’a pas donné les preuves de son talent et, sans ruptures, de la plus enrichissante évolution.

N’essayez pas de les agglomérer en une école, et moins encore en une chapelle. D’origines diverses, de tempérament différent, voire antagoniste, ils ne sont solidaires les uns des autres que pour montrer que la peinture doit être un véhicule de leurs sensations où l’art et la réalité, se répondent en contre-point avec un égal éloignement de l’ordinaire et de la vulgarité.

Les voici, appliqués ou désinvoltes. Voici le spécialiste des paroxysmes et le visionnaire enchanteur qui rend clairement et fortement des impressions subtiles. Voici les solides et sensibles prosateurs d’un langage pictural précis, soigné, aux images justes et voici ceux dont l’univers subjectif les incite à ne pousser la vérité que d’un doigt... tous créateurs de métaphores imprévues, propres à créer un lien de sympathie entre eux et le spectateur.

C’est la diversité même de techniques et d’accommodements au réel de ces vingt-deux peintres d’aujourd’hui qui leur confère une autorité de rebelles à la bigoterie de l’absurde et de l’imposture.

Il est toujours un peu comique de poser au prophète, mais il n’est pas impossible que pour préciser le mouvement de réaction contre une peinture qui cherche son nom, les peintres de cette exposition deviennent " Ceux de Saint-Ouen ". Et que dans l’année des édifiantes rétrospectives de Bonnard et de Marquet, leur rassemblement prenne un caractère de protestation contre de multiples indécentes et malfaisantes manifestations. (…)

Après cela... Mieux vaut retourner à Saint-Ouen où le parc est peuplé de nombreuses sculptures d’éminents plasticiens pour accueillir les invités des peintres et d’un photographe, M. Gérald Bloncourt.

Cet ami des artistes montre tous les peintres de l’exposition en de multiples poses dans leur atelier. Un précieux et sensible témoignage. Une belle œuvre d’un grand photographe. (…)"